Mécénat et financement de la culture : une nouvelle rubrique d’Atopiak

Je me souviens encore bien de la première fois où j’ai assisté à une pièce de théâtre contemporain. J’étais déjà à l’université et j’avais déjà vu, sans doute, des pièces de théâtre plus « scolaires », mais cette rencontre avec le théâtre contemporain a été infiniment plus forte, voire physique : j’ai particulièrement été marquée par la proximité corporelle des acteurs, par la force qui s’en dégageait et qui circulait lors du spectacle. Il s’agissait d’une pièce de Rainer Werner Fassbinder, dont j’ignorai à l’époque à peu près tout. La scénographie m’avait fascinée : il s’agissait d’un échafaudage de fer assez haut, sur lequel évoluait les comédiens, dispositif vertigineux permis par la taille de la salle.


Je pourrais dire la même chose de ma première rencontre avec l’opéra ou avec certains tableaux de maîtres. Peu à peu, spectacle après spectacle, au fur à mesure de ces rencontres, j’ai pu poser un autre regard, non sur la scène, mais sur ce qui nous entoure. Il serait bien trop long de détailler ce que chacun de ces spectacles a pu m’apporter, et comment ces représentations ont travaillé, étoffé, changé mes représentations du monde. Preuve, s’il en est, de l’importance d’avoir accès à la « culture » – qu’on imagine parfois réservée à une minorité de privilégiés ou élitiste – qui n’est pas, contrairement aux apparences, une expérience seulement individuelle : la culture, c’est ce tremblement de la pensée, de la mémoire, du sensible, qui nous ouvre à un commun (qu’il soit artistique, politique, historique, peu importe).
Ces rencontres m’ont été facilitées par une politique culturelle volontariste en vigueur dans ma ville : un tarif unique de 5,50 euros pour les étudiants, que ce soit pour le théâtre, pour l’opéra ou pour les concerts, et l’entrée gratuite dans les musée. 


Bref, je souhaitais de manière préalable à ces billets qui porteront sur le mécénat, rappeler d’où je parle, d’où me vient cet intérêt pour la culture, l’importance de son accessibilité (et de son financement public, quoiqu’on en dise) et la manière dont elle contribue à tisser des liens et à dessiller le regard.
Or, on le sait et on le constate, les subventions allouées au secteur culturel sont globalement en baisse. La revue Mouvement (juillet-sept. 2010, n°56) sous le titre « Du possible, sinon j’étouffe ! », fait le constat effectif d’un désengagement de l’état du financement de la culture, et remplacement du projet artistique par des « contrats d’objectifs » :

« En moins de dix ans, c’est toute une conception de la politique culturelle, héritée des combats du Front populaire, des mouvements de Résistance puis de la quête de cohésion nationale de l’après-guerre, qui s’est effondrée. Et il est logique que le lent enterrement, sans fleurs ni couronnes, d’une certaine politique culturelle […] se soit conjugué à l’effacement libéralement programmé de l’Etat-providence. »


Si l’on en croit l’Observatoire des politiques culturelles, les départements sont le niveau de collectivité le plus affecté par des baisses de budget de fonctionnement entre 2009 et 2010. Or, ce sont les départements qui consacrent le plus de crédits à la culture et à des activités de proximité (deux fois et demi plus que la région, par exemple).
Parallèlement à cette baisse des financements publics, un changement d’orientation pour favoriser le financement privé peut être constaté via la loi d’août 2003, qui devient dès lors l’une des plus incitative d’Europe en terme de mécénat. (J'aurais l'occasion d'y revenir de manière plus détaillée dans le prochain billet.)


On peut s’en inquiéter en se disant, de manière légitime, qu’il s’agit là d’un prélude à un véritable désengagement de l’état souhaitant transférer un certain nombre de dépenses au secteur privé. C’est en partie le cas, sans doute – et c’est un risque certain. Cependant, le mécénat privé ne doit pas être perçu comme un problème, s’il demeure une manière complémentaire de diversifier les financements des projets ou des organismes culturels et s’il est vu comme une manière de créer du lien entre des mondes différents.


C’est depuis 1979, date de sa création, la conviction de l’ADMICAL, une association qui chercher à promouvoir le mécénat d’entreprise. Jacques Rigaud, président de l’Association, s’en explique lors d’un colloque intitulé Le mécénat, acteur du développement culturel et artistiquequi eut lieu à l’abbaye de Royaumont  en 2006 : 


« L’une de nos intuitions était que la politique culturelle engendrait des besoins et des attentes que le financement public sous toutes ses formes ne suffirait jamais à satisfaire, et que d’ailleurs il ne serait pas sain que tout l’élan de la culture dépendît de l’argent public – ou du seul jeu du marché. D’emblée, nous avons conçu le mécénat comme un « tiers-secteur » du financement et, plus généralement, de l’initiative culturels, propre à compenser ou à corriger à la fois les rigidités et les inerties de l’action publique et la brutalité du marché, mais sans qu’il ait pour vocation de se substituer et aux fonds publics et au marché. »


Il est donc important, avant toute réflexion sur ce sujet, de rappeler qu’il ne s’agit pas de substituer au financement de l’état un financement privé. Et il est vrai qu’en la matière, il est possible de se demander si les récentes évolutions ne sont pas un moyen déguisé d’opérer tel transfert. 


C’est d’ailleurs, on peut le noter rapidement, ce sentiment de devoir pallier le désengagement de l’état, qui ressort des entretiens avec les entreprises dans l’étude sur le mécénat 2010 de l’ADMICAL : elles ont parfois le sentiment de prendre le relais de l’état, notamment au niveau du financement des associations. L’ADMICAL se demande d’ailleurs si les déficits publics sont une chance ou un risque pour le mécénat:

« La question du rapport entre financements publics et mécénat privé se pose de manière aiguë avec le creusement des déficits publics. L’effet d’entraînement, voire d’exemplarité, que représente en France l’action de l’Etat est réel. Celui-ci reste un garant de stabilité pour les projets soutenus par le mécénat d’entreprise. Quelles nouvelles complémentarités bâtir entre la générosité privée et l’intervention de l’Etat ?»

Sans prétendre répondre à cette question complexe, je me propose ces prochaines semaines de contribuer au questionnement sur la place du mécénat dans la culture en privilégiant deux approches :


des articles d’analyse, surtout pour poser quelques problématiques, notamment à partir des études existantes – celles de l’ADMICAL bien entendu, mais aussi d’autres source trouvées lors de mes lectures.  (Je pourrai également à l’occasion proposer d’aller voir ce qui se passe ailleurs, et surtout au Québec qui présente de bons exemples de financement culturel public/privé). 


- une veille (hebdomadaire, dans la mesure du possible) sur les pratiques du mécénat culturel en France. Ce sera là, d’ailleurs, la partie la plus importante de cette rubrique. 


Ceci permettra, je l’espère, de lancer des idées et des pistes à partir de bonnes pratiques dans le domaine, et surtout d’observer un peu les tendances qui se dégagent dans le mécénat culturel.
Isabelle S.
Images:
- Inferno, de Romeo Castellucci au festival d'Avignon (2008)
- Tiepolo, Mécène présentant les arts libéraux à l'empereur Auguste, peinture sur toile (69,5 x 89, Saint Petersbourg, Ermitage)

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1 commentaires:

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