Dans l’actualité des prix Nobel…


L’académie royale des sciences suédoise a décerné le prix Nobel de physique à Charles Kao pour ses « réalisations concernant la transmission de la lumière dans des fibres pour la communication optique » et Willard Boyle et George Smith pour « l'invention d'un circuit semi-conducteur destiné à l'imagerie, le capteur CCD ». Bien, me direz-vous, et en quoi cela nous concerne-t-il ? Il s’agit tout simplement de l’invention de l’imagerie numérique : le CCD ou dispositif à couplage de charge (charge-coupled device) qui reçoit et analyse la lumière, autrement dit un oeil électronique, l’œil de la photographie numérique. Rapidement utilisé pour l’imagerie astronomique, le photocapteur CCD sera démocratisé par les caméras numériques et appareils photographiques utilisant la même technologie.

Cet œil numérique a transformé la photographie et, avec elle, nos rapports à l’image. Photographie signifie littéralement « écriture, gravure de lumière » (φωτoς, photos : lumière et γραφειν, graphein : écriture, graphisme). En fait, le mot photographie désigne à la fois l’objet et le procédé, c'est-à-dire la marque laissée par la lumière sur une surface photosensible ainsi que la possibilité de conserver cette trace, de la fixer. Dans le cas de la photographie numérique, le processus physico-chimique de capture et de fixation est remplacé par un capteur/traducteur, la lumière ne laisse donc plus directement sa trace mais se trouve convertie, traduite par ce capteur en un signal analogique, lui-même retraduit en signal numérique.
La photographie numérique est donc une autre photographie, une autre image, transformable à l’infini, plus facile à stocker, montrer, diffuser, une image qui, finalement, perd peu à peu de sa matérialité. L’image numérique, ainsi modifiable et reproductible à l’infini, visible sous forme de traduction d’une information binaire par un logiciel informatique, entretient-elle encore des liens avec la réalité ? Et lesquels ? En fait la question devrait être posée ainsi : la photographie numérique peut-elle encore référer au réel ?
Le débat engagé en France sur la nécessité d’apposer la mention « photo retouchée » au bas des affiches publicitaires montrant des personnes dont l’image a été « améliorée » à l’aide d’une palette graphique passe sans doute à coté de l’enjeu du numérique, et réactive à vrai dire les critiques faites à la photographie depuis son invention. Qu’y a-t-il de réel dans les rues de Paris vidées de leurs habitants prises par Atget ? Dans les instants figés mis en scène par Doisneau ? Et plus encore dans les photographies nous montrant l’invisible ou faisant la preuve de l’existence d’une chose (les fées de Cottingley, le Chronoviseur du père Pellegrino Ernetti, les photographies de l’aura et l’effet Kirlian…) ?

Les fées de Cottingley, l'une des cinq photographies prises par Elsie Wright et Frances Griffiths

Le numérique amène, à mon avis, une problématique bien plus importante : celle de l’obsolescence du « photographique » et avec elle une certaine obsolescence de l’image elle-même.
Quoi qu’il en soit, il aura fallu 40 ans pour que ces trois inventeurs soient récompensés de leur travail. On peut, je crois, en conclure que l’application et la démocratisation d’une invention ne sont vraiment pas des critères de jugements pour la remise du prix.
Thomas W.

(Ht: première photographie de la lune prise par un appareil numérique en 1974)

Stumble ThisFav This With TechnoratiAdd To Del.icio.usDigg ThisAdd To RedditAdd To FacebookAdd To Yahoo

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire