Petite note sur le temps présent (1)

Les élections régionales en France : désaffection du politique ou de la politique ?



J’inaugure aujourd’hui une série de petites notes que j’espère régulières sur des sujets d’actualité. Comme à notre habitude, il s’agira cependant de dépasser cette actualité afin d’ouvrir des perspectives plus larges, de donner à penser…
Dimanche a eu lieu, en France, le premier tour des élections régionales. Au-delà des résultats, qui seront abondamment commentés par les journaux de tout bord, j’aimerais m’intéresser au taux de d’abstention, très important, qui a fait d’ailleurs lui aussi l’objet de commentaires de la part des journalistes : il devrait se situer autour des 52 %.
Je ne me lasse pas de m’étonner de cet état de fait, et de la progression constante de l’abstention dans les pays démocratiques. D’ailleurs, le phénomène ne touche pas seulement la France : au Québec, lors des dernières élections municipales, le taux de participation n’a pas dépassé les 40 % (environ 45 % pour l’ensemble du Québec), ce qui équivaut donc à 60% d’abstention, dans une grande ville comme Montréal.


C’est sans doute un fait, confirmé par nombre d’élections dans les pays occidentaux : la res publica, la chose publique, n’intéresse pas ou plus. Soit que les enjeux n’en soient pas saisis ou soient perçus comme peu mobilisateurs, soit que le discours facile et immédiat des « tous pourris » soit appliqué, un peu facilement, aux politiques pour justifier l’abstention. Mais les hommes politiques ne sont pas le politique.
Pour engager une réflexion, il faudrait d’ailleurs tout d’abord distinguer le politique de la politique : le politique est bien plus large ; étymologiquement, et comme le rappelle Pierre Ouellet, le politikos « avant de signifier des modes de gérance et de gouvernance des biens publics, renvoyait au vivre ensemble au sein de la cité, la polis. Ce sens du mot politique s'est perdu, malheureusement. C'est tout simplement devenu un mode de gestion des services et des biens qu'on estime être publics. » Il ajoute alors : « donc, l’agora n’est plus là ». L’agora, c’était ce lieu où les citoyens grecs se rassemblaient pour débattre et décider des affaires de la cité. En gros, le vivre ensemble a cédé la place à une vision gestionnaire des biens et services publics.

La distinction me paraît juste et importante. Ce qui fait défaut, à présent, c’est le sens commun, la communauté en somme. Or, la communauté ne peut, ne doit pas être la somme des subjectivités individuelles, la simple addition des désirs des personnes qui composent une société : c’est plus que cela. Marcel Gauchet montre bien la différence dans un texte qu’il a publié sur son blog en 2007 et qui porte, justement, sur la différence entre le politique et la politique. Il examine ce que peut se dire le citoyen, au moment de voter :


« Nous pouvons nous dire et c’est d’ailleurs le message de plus en plus fort qui prévaut dans nos sociétés : « Je raisonne en tant qu’individu qui a des intérêts, des convictions, des choses à défendre et le reste je m’en moque. Je suis moi-même en votant et puis cela suffit. Le résultat global ?, on verra ce qu’il en sort. » Je peux au contraire me dire : « Je vote, en fait, comme si j’étais un gouvernant qui avait la responsabilité du sort de l’ensemble. » Cela ne donne évidemment pas du tout les mêmes choses. Cela donne des choix profondément différents. C’est cela en réalité qu’on appelle un citoyen dans la plénitude de l’expression. C’est quelqu’un qui ne se situe pas au point de vue de la politique, du point de vue d’un individu, d’une catégorie sociale ou de telle ou telle famille de pensée. »


Or, faire un choix en vertu du politique – et non de la politique –, ce serait penser son vote en vertu d’un intérêt commun (celui de la cité, entendue comme communauté) et non pas « en tant qu’individu qui défend simplement ses intérêts ».
Ceci pose sans doute un premier problème : la valorisation actuelle, au niveau du rapport au politique, de l’intérêt personnel sur le collectif, de l’expression d’une subjectivité, d’un intérêt personnel aux dépens d’un intérêt commun. L’autre problème, qui est sans doute lié et que j’évoquais en ouverture de cette note, c’est la désaffection générale envers le « jeu » démocratique.


Et bien, je crois que ce désintéressement de la politique a des racines communes avec la perception et le délitement de la notion de communauté. Dans un dernier billet, je parlais d’identité européenne, à l’occasion de l’improbable tentative de définition d’une identité nationale française : que signifie cette tentative, sinon la volonté de rapiécer et de redéfinir artificiellement et de manière hasardeuse une identité qui serait partagée par tous ? En somme, n’est-ce pas là le signe d’une volonté (ratée) de refonder une communauté ?


Ce qui fait défaut, sans doute, pour bâtir l’idée d’une communauté – et, par conséquent, pour réactiver le sens du politique entendu comme vivre ensemble – c’est aussi un horizon commun. Cet horizon-là a pu être présent, mais il a été dénoué par l’histoire, et surtout par la chute du mur de Berlin en 1989, semblant enfouir, en même temps que la défaite du communisme, les possibles utopies communes.


Qui plus est, nous vivons dans des sociétés libérales où est promu – voire exigé – l’individualisme débridé, la performance, ce qui ne favorise pas, il est vrai, l’idée d’un bien commun, de sa nécessité. L’agora (espace commun où l’on décidait des affaires de la cité, espace même du politique et du débat) a été, en quelque sorte, remplacée par la scène (espace d’exhibition individuelle, de spectacle permanent, de performance continuelle, où l’on est sommé de se mettre en scène pour se distinguer, sous peine de disparaître dans l’anonymat de la foule).
D’un côté donc, l’idée d’un bien commun, et d’une communauté ; de l’autre l’idée d’une exhibition, d’un divertissement sans fin et de l’individualité à tout prix : deux aspects inconciliables qui expliquent peut-être en partie la désaffection du politique.
Isabelle S.
Images :
- Louise Weiss en 1935 devant la Bastille - manifestation pour le droit de vote des femmes
- Jacques-Louis David, La mort de Socrate (1787), Metropolitan Museum of Arts, New York

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1 commentaires:

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