Une application iPhone pour le Louvre


Voilà, c’est fait : après le musée de Cluny, la National Gallery et une quinzaine d’autres musées, le Louvre sort son application iPhone. Le lancement de cette application s’est fait à l’occasion de l’ouverture d’un Apple store sous le Carrousel le 5 novembre. Apple offrait pour l’occasion aux cinq mille premiers visiteurs un Tee-shirt emballé dans une pyramide en carton – mieux qu’un iPhone dans une boule à neige.

Deux cents œuvres présentées, des vidéos, des commentaires, une localisation des œuvres, tout ce qu’une application peut nous offrir. Mais, ainsi que le précisent ses concepteurs, il ne s’agit pas de remplacer l’audioguide : l’application, gratuite, n’est pas faite pour être utilisée au musée ; c’est une publicité, un moyen de faire mieux connaître le Louvre et attirer de nouveaux visiteurs. Alors quoi ? Le Louvre cherche à intégrer les médias interactifs à sa stratégie de communication. Un musée, quel qu’il soit, a charge de faire connaître les œuvres et inciter le plus grand nombre à venir les voir. Quel mal y a-t-il à cela ?

Passons sur la question de l’installation d’un magasin Apple et sur la distribution d’un Tee-shirt collector – un « j’y étais », comme si l’ouverture d’un magasin dans la galerie du Carrousel était un évènement marquant de l’histoire des lieux (tout au plus, une mauvaise campagne promotionnelle et un vilain Tee-Shirt).
Selon moi, le problème est de deux ordres: la visualisation des œuvres sur un téléphone portable et le choix des œuvres ainsi présentées.

Parmi les œuvres proposées, on retrouve La Liberté guidant le peuple, 1830, 260x325 cm de Delacroix, Le radeau de la méduse, 1819, 491x761 cm de Géricault, Les chevaux de Marly, 1739/45, Ht 355cm de Guillaume Coustou etc…

En plein écran, le tableau de Delacroix apparaît avec une échelle de 1/49ème, le tableau de Géricault à 1/92ème, la Joconde à 1/10ème (en espérant qu’aucune n’ait subi l’affront d’un recadrage numérique). Que connaît-t-on d’une œuvre avec ce rapport d’échelle ? Que sait-on d’un tableau vu sur un écran plat, lisse, noir, qui tient dans la main et qui, à chaque seconde, est susceptible de vibrer ? Je n’ai pas le loisir de développer plus avant cette réflexion sur les dimensions et les différentes altérations du regard sur l’œuvre que provoque sa reproduction. Cependant, gardons cela : les images de tableaux sur l’application iPhone du Louvre ne nous disent rien d’autre que « un tableau qui ressemble à peu près à cela est exposé au musée du Louvre ». Alors, me direz-vous, l’objectif est rempli et les visiteurs vont affluer pour voir les tableaux au Musée. Et bien, je pense que non. Les visiteurs ne viendront pas plus au Louvre parce qu’ils ont vu ces images là à travers leur iPhone. Ils ne seront pas plus enclins à venir en tout cas, qu’ils ne le sont déjà en voyant une publicité dans un magazine.

Le dispositif est biaisé. L’erreur vient, selon moi, de l’appréciation de ce que peuvent apporter les nouvelles technologies au musée et elle se manifeste par le choix des œuvres. Je m’explique : que cherche-t-on en développant une application iPhone pour un musée? Quel produit le musée du Louvre cherche-t-il à vendre (outre les cravates Mona Lisa)? Certes, il vend une part de culture, des connaissances, un savoir-faire mais, en tant que musée, que vend-il? Des billets ! Des coupons d’entrée permettant d’accéder aux collections pour voir les œuvres. Voila ce que vend le musée du Louvre, la possibilité de voir, de regarder les œuvres, de s’y confronter. Il nous permet de faire l’expérience sensible de l’œuvre d’art, de l’appréhender. Faire face à un tableau de sept mètres de long est une toute autre chose que de le regarder sur un écran de 3,5 pouces.

Or, en nous présentant les œuvres les plus connues, les plus reprises, celles-là même que nous montrent les guides, les brochures (un touriste, avant d’arriver à Paris, aura sans doute passé plus de temps à feuilleter des guides présentant des reproductions de la Joconde qu’il n’en passera dans la salle dans laquelle elle se trouve effectivement), en nous vendant ce petit catalogue d’œuvres sur(re)présentées, le Louvre ne nous offre pas cette possibilité de regard, il nous vend toujours la même chose : le Louvre lui-même, la marque « Louvre, plus grand musée du monde » (et, au passage, la marque « Paris »). Ainsi, la personne qui va télécharger l’application iPhone du Louvre doit nécessairement déjà connaître le Louvre et avoir déjà été en contact avec la marque « Louvre ». La notoriété du musée n’est donc pas en jeu ici.

Le Louvre aurait dû faire le choix de présenter des œuvres moins connues, en proposant une visite de ce qu’on n’a pas déjà vu, revu, en orientant les gens vers des tableaux, des sculptures devant lesquels peu s’arrêtent plus de cinq minutes. L’intérêt de l’outil numérique et des médias interactifs est de proposer une approche différente, d’amener les gens à faire l’expérience de ce qu’ils ne connaissent pas déjà. Une application pour smartPhone est un outil qui, pour la diffusion et la promotion des œuvres, permet de déplacer l’attention portée par les visiteurs aux œuvres les plus connues vers des œuvres moins représentées dans les médias traditionnels, moins connues du grand public.

Si le musée avait compris cet intérêt, l’application proposée aurait sans doute été brin différente d’un « j’ai la Joconde dans mon portable », maigre consolation pour celui qui n’a pu avoir son Tee-shirt « Apple store Carrousel du Louvre 7 novembre 09 » (à 90 euros sur Ebay !) et aurait guidé les touristes ailleurs que dans les salles où des centaines de personnes s’amassent déjà.
Thomas W.
1. Interface de l'application iPhone "Louvre"
2. Sculpture du groupe des Chevaux de Marly, 1743-45, Guillaume Coustou , © Musée du Louvre/P. Philibert

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1 commentaires:

  1. Anonyme says
    Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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