Art et sciences : Magnetic Movie


Rendre visible l’invisible est un vœu qui a hanté nombre de poètes, de peintres et d’artistes. Si j’en reviens à mon article de la semaine dernière sur Pascal Quignard, les Vanités pourraient être un bon exemple de cette volonté de représenter ce qu’on ne peut saisir, de donner à voir l’intangible ou l’invisible : ainsi,  dans la Vanité au crâne de Philippe de Champaigne, l’écoulement du temps et la fugacité de la vie est représenté par le sablier, mis en perspective avec la fleur, éphémère par excellence, et le crâne, symbole de notre condition humaine.On a donc là ce qu’on a coutume de nommer une allégorie. Si le temps n’est pas saisissable, on pourrait plutôt le définir comme une perception que comme une véritable réalité – je ne détaillerai pas plus ce point qui me mènerait sans nul doute à une impasse : c’est une des grands objets de questionnement des philosophes, mais aussi des écrivains (pensons à Proust, avec les sept tomes de La recherche du temps perdu, ou à Lamartine qui suppliait le temps de suspendre son vol)
Bref, chacun en fait l’expérience, et les horloges sont là pour nous rappeler qu’il peut être quantifié et mesurable. Ce n’est pas tout à fait la même chose si l’on parle des ondes magnétiques qui sont, elles, bien présentes et nous entourent à tout moment. Simplement, elles sont invisibles, comme sont invisibles les ondes sonores – qui, pourtant, sont un phénomène physique de vibration. L’acoustique serait d’ailleurs née d’une observation visuelle, celle de l’observation des ondes à la surface de l’eau par le philosophe grec Chrysippe.
Quel rapport avec l'art et la science? Et bien, le festival Imagine Science festival de New York, dont le but est de promouvoir le dialogue entre scientifiques et réalisateurs pour vulgariser les enjeux de la science, vient de primer fin octobre un court-métrage d’animation intitulé Magnetic Movie, réalisé en 2007 par Semiconductor.
Magnetic movie est le résultat d’une résidence d’artiste réalisée par Ruth Jarman et Joe Gerhardt à partir d’images captées à la NASA's Space Sciences Laboratories (UC Berkeley). À partir des recherches conduites au Space Science Laboratory sur les images scientifiques du soleil et de ses tempêtes magnétiques, Ruth Jarman et Joe Gerhardt ont rendu visibles les ondes magnétiques invisibles, dans un film à mi-chemin entre art et science, entre fiction et réel. Le résultat est d’une beauté saisissante, nous donnant à voir les forces invisibles de turbulences électromagnétiques et leurs variations chaotiques.

Un petit retour en arrière… du côté des Romantiques allemands

Cette démarche, qui permet d’allier l’art et la science, m’a fait immédiatement penser à celle qui animait les Romantiques allemands. Aujourd’hui, il nous est parfois difficile de relier le monde scientifique au monde littéraire ou artistique, d’apparence séparés, comme on a coutume de séparer la réalité, le réel et la fiction, l’imaginaire. Un roman de Jules Verne, Le château des Carpathes, publié à la fin du 19e siècle, marque bien ce basculement, puis cette séparation qui s’opère entre science et fantastique, entre rationalité et merveilleux qui s’opère au tournant du siècle. Le début du roman le dit bien : « Nous sommes d’un temps où tout arrive, - on a presque le droit de dire où tout est arrivé. Si notre récit n’est point vraisemblable aujourd’hui, il peut l’être demain, grâce aux ressources scientifiques qui sont le lot de l’avenir, et personne ne s’aviserait de le mettre au rang des légendes. D’ailleurs, il ne se crée plus de légendes au déclin de ce pratique et positif XIXe siècle […]. »
Pourtant, les Romantiques allemands, inspiré par le projet du philosophe Schlegel, avaient encore le projet de réunir l’art et la science. Et je trouve, en ce sens, que Magnetic movie nous apporte, de manière singulière et à l’heure où le savoir se fragmente en disciplines ultra-spécialisées, une perspective vivifiante qui « réenchante » un peu le scientifique.
J’évoquais au début de l’article les ondes sonores qui, bien qu’invisibles, n’en sont pas moins un phénomène physique. C’est exactement pour cette raison que Magnetic Movie m’a fait penser aux Romantiques allemands. Toujours dans cette perspective de relier poésie et science, on se passionnait à l’époque pour les phénomènes physiques, voire acoustiques – en même temps qu’on faisait allégrement tourner les tables, comme aimait à le faire Victor Hugo à Jersey. Nulle contradiction, donc, dans ce mélange-là, typique de l’esprit du siècle, dont Jules Verne ou E.T.A Hoffmann avec ses Contes Fantastiques sont quelques-uns des représentants.
Au début du 19e siècle, Ernst Chladni (1756-1827), physicien, parcourait déjà l’Europe pour donner des conférences sur ses découvertes acoustiques. Goethe, notamment, mais aussi d’autres écrivains de l’époque, comme Novalis, furent fascinés par ses découvertes. Il s’agissait bien de rendre visible l’invisible : en 1787, il fit une expérience qui frappa les esprits. En faisant vibrer un archet sur le bord de plaques horizontales sur lesquelles était placé du sable, il obtenait des figures géométriques, véritables images sonores.
Les figures de Chladni (représentées ci-contre) font encore référence aujourd’hui pour l’acoustique et l’on peut tout à fait réitérer l’expérience…Expérience qui, sans doute, nous paraîtra bien moins poétique et fascinante qu’elle ne le fut pour les spectateurs de l’époque (pour voir les figures de Chladni en vidéo, c'est ici)
En attendant, et pour « réenchanter » un peu le monde des phénomènes physiques et scientifiques, on peut toujours faire un tour sur le site de Semiconductor, qui propose de nombreuses vidéos visant à montrer ces forces invisibles – qu’elles soient électriques, magnétiques, acoustiques…–  qui sont à l’œuvre autour de nous, montrant au passage les limites de nos perceptions humaines.
Isabelle S.

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1 commentaires:

  1. Anonyme says

    +1
    Tout juste auguste! très très bien d'accord. S'il il y a lieu d'être "d'accord", ce qui n'est pas le cas :)

    Un peu de musique scientifique:
    http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/science_actualites/sitesactu/question_actu.php?langue=fr&id_article=10463


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