Peter Weibel, une certaine idée de l'Europe
Une partie de cet article paraîtra dans le numéro d'Artline du mois de juin. Mais les contraintes éditoriales étant ce qu'elles sont, il sera amputé d'une de ses parties. Ayant eu la chance de rencontrer l'artiste Peter Weibel à l'occasion d'une série d'expositions qui lui est consacrée à Strasbourg ce mois-ci, j'ai souhaité publier l'article en version longue.
En effet, son travail propose une réflexion sur l'Europe qui m'a paru véritablement intéressante, et le sujet me tient à coeur - nous avons absolument besoin d'artistes, de penseurs, d'écrivains pour construire une véritable pensée critique de l'Europe, et pas seulement d'une Europe économique et commerciale - j'avais d'ailleurs déjà abordé ce sujet en parlant d'un bel essai de Georges Steiner.
Peter Weibel, Kopf, 1967-68 |
Ces installations trouvent en effet un écho singulier dans l’actualité la plus contemporaine de l’Europe, et nous engagent à revoir de manière critique notre manière de penser l’histoire et l’espace européen, au moment où l'on parle de remettre en question la libre circulation dans celui-ci et de rétablir le contrôle aux frontières - d'ailleurs, le Danemark s'est déjà engagé dans cette voie.
Peter Weibel, installation DVD, Réécrire l'Europe |
Peter Weibel, La forteresse Europe (Forschung Europa), installation, 1994 |
Peter Weibel, Europa(t)raum, installation, 1983 |
Autrichien, Peter Weibel l’est aussi dans sa manière de proposer une critique de la représentation, qu’elle soit fantasmée ou médiatique. Il y a en effet une tradition autrichienne de critique du langage et de la représentation, qu’on trouverait aussi bien chez les romanciers Robert Musil et Thomas Bernhard que chez Wittgenstein. Contre la tendance nationale du Wegschauen (cet art de regarder ailleurs, soit de balayer la poussière sous le tapis pour ne surtout pas la voir, art souvent dénoncé par l'écrivaine Elfriede Jelinek), les artistes autrichiens furent souvent contestataires, et l’on peut rappeler que les première performances de Peter Weibel, en collaboration avec Valie Export, artiste connue pour ses positions féministes, furent plutôt subversives - on peut rappeler que, lors d'une de ces performances, en 1968, Valie Export promena Peter Weibel en laisse dans Vienne, tel un portrait de l'artiste en jeune chien. Il s'agissait surtout là de remettre en question les rapports hommes/femmes, dominants/dominés.
Peter Weibel garde aujourd’hui cette propension à révéler ce qu’on ne souhaite pas voir, et tel était le propos d’une des installations présentées à Apollonia, visible jusqu'au 31 mai, Life in the 20th century. 250 millions murders (La vie au 20e siècle. 225 millions de morts). Peter Weibel a très vite travaillé en utilisant les médias de masse de manière critique – avec la série des Télé-actions, débutées en 1969, il fut ainsi un des pionniers de l’art vidéo. Avec l’installation dite de « réalité augmentée » d’Apollonia, il utilise des Iphone et des Ipad, soit les médias les plus récents, pour montrer la véritable nature de ce « court vingtième siècle », selon la formule célèbre de l’historien Eric John Hobsbawn, période la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité. Invisibles de prime abord, dix globes apparaissent dans l’espace par le biais des écrans fonctionnant comme des fenêtres, symbolisant les dix décades du 20e siècle, pendant qu'une voix énonce les noms des génocides et des guerres. Jouant sur le local et le global, sur l’imbrication entre espace réel et symbolique, l’installation nous suggère que nous ne sommes peut-être pas étrangers à cette réalité historique et que, fut-elle abstraite, elle ne cesse de faire partie de notre monde - tout en demeurant impensée - voire impensable.
Peter Weibel garde aujourd’hui cette propension à révéler ce qu’on ne souhaite pas voir, et tel était le propos d’une des installations présentées à Apollonia, visible jusqu'au 31 mai, Life in the 20th century. 250 millions murders (La vie au 20e siècle. 225 millions de morts). Peter Weibel a très vite travaillé en utilisant les médias de masse de manière critique – avec la série des Télé-actions, débutées en 1969, il fut ainsi un des pionniers de l’art vidéo. Avec l’installation dite de « réalité augmentée » d’Apollonia, il utilise des Iphone et des Ipad, soit les médias les plus récents, pour montrer la véritable nature de ce « court vingtième siècle », selon la formule célèbre de l’historien Eric John Hobsbawn, période la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité. Invisibles de prime abord, dix globes apparaissent dans l’espace par le biais des écrans fonctionnant comme des fenêtres, symbolisant les dix décades du 20e siècle, pendant qu'une voix énonce les noms des génocides et des guerres. Jouant sur le local et le global, sur l’imbrication entre espace réel et symbolique, l’installation nous suggère que nous ne sommes peut-être pas étrangers à cette réalité historique et que, fut-elle abstraite, elle ne cesse de faire partie de notre monde - tout en demeurant impensée - voire impensable.
Peter Weibel au vernissage de l'exposition Apollonia, De la réalité virtuelle à la réalité augmentée |
Au ZKM d’ailleurs, on pourra voir prochainement une exposition nommée Atlas. Comment porter le monde sur ses épaules ? (Atlas. How to Carry the Word of One’s Back ?) dont le curateur est Georges Didi-Hubermann, plus connu pour ses essais passionnants sur la question de l’image – et sur ce qui hante les images, ce qui se cache derrière elles. C’est justement dans cette perspective que s’inscrira l’exposition : non pas montrer des œuvres de maîtres connus, mais plutôt faire découvrir les sources à partir desquelles les artistes ont composés leurs œuvres, et qui permettent de les comprendre. Une archéologie de l’image, en somme, où l’on (re)découvrira avec profit les images collectées par l’historien de l’art Aby Warburg, qui cultivait le même intérêt, entre les années 1924 et 1929, pour les analogies et les montages que les artistes de son temps et dont le Mnemosyne Atlas demeure une tentative intéressante de remonter le cours des images par le montage, en traquant leurs analogies formelles à travers le temps (pour une analyse du travail d’Aby Warburg en parallèle avec celui de Walter Benjamin, voir ici, la partie consacrée au montage)
L’exposition se tiendra au ZKM, à Karlsruhe, du 7 mai au 7 août 2011.
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